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Une femme, un siècle : Denise BRANGER





Tout comme Jenny, Denise ma grand-mère paternelle est née avec le siècle, le 2 septembre 1901. Elle a donc vécu, elle aussi, tous les bouleversements technologiques du vingtième siècle; mais, si chez Jenny je sentais comme une nostalgie et un frein à accepter ces bouleversements, Denise, elle, a sauté dedans à pieds joints !
Il faut dire que, même issue de milieu tout aussi modeste, elle a eu plus de chance dans sa petite enfance. Entourée de ses deux parents, relativement épargnée par la première guerre mondiale, elle a pu aller à l’école où elle a été une brillante élève.
Je garde avec émotion cet Abécédaire au point de croix fait alors qu'elle avait 11 ans et qui marque, déjà, son penchant pour la minutie et la perfection :




J’ai eu, également, la chance de retrouver au fond du grenier, ses prix : les livres à couverture rouge édités par Mame, récompenses des distributions des prix reçus par au moins 3 générations de tourangeaux. A l’intérieur, les bulletins attestent de ses bons résultats :
En 1914, dans l’école chrétienne de filles de Bréhémont, elle a reçu le prix d’honneur pour avoir mérité un premier prix dans pratiquement toutes les matières, de l’orthographe au calcul en passant par l’histoire, la géographie et les sciences naturelles. Elle a même, cette année là, obtenu son certificat d’études primaires, diplôme très coté à l’époque puisque seuls 35 % des élèves scolarisés l’obtenaient. J'imagine qu'aujourd'hui les 5 fautes éliminatoires en dictée feraient frémir bon nombre de collégiens ou même de lycéens...
En 1916 Denise a eu l’honneur, en fin d’année, de réciter un monologue, dont je possède encore le texte soigneusement recopié de cette belle écriture qu'elle conservera toute sa vie, et qui faisait que chaque courrier reçu d'elle était pour moi un réel plaisir.




En 1924, suite à son mariage avec Robert SENNEGOND, Denise quitte la rue Moreau pour s’installer à l’autre bout de la commune, au Passage, dans cette grande maison en tuffeau qui restera à jamais marquée par son empreinte.
Cette maison, et le jardin qui l’entourait, c’était son domaine : toujours parfaitement entretenu, sans une mauvaise herbe dans le jardin, ni une poussière dans la maison. L’escalier était tellement bien ciré qu’il fallait faire attention pour le descendre. Dans le vaisselier de la salle étaient alignées des rangées de magnifiques verres en cristal taillé du début du XIX ème siècle qui faisaient mon admiration.
Plus étonnant pour nous, les petits enfants, il y avait cette tête de sanglier et celle de biche accrochées au mur et qui présidaient toutes les réunions de famille.
Ne voulant pas rester en retard sur les évolutions technologiques du vingtième siècle, elle passe son permis de conduire en 1958, 1 an même avant son mari. Ce qui lui permettra d’aller vendre dans les villages alentour les excédents de pêche, les poissons les moins nobles dont les restaurants de Langeais ne voulaient pas. Dans les années 70, elle a également adopté le pantalon comme tenue quotidienne, seule de son âge dans le village à oser le faire.
A l'évocation de son souvenir, les images se bousculent : les travaux aux crochets, les plats de riz au lait… et aussi une anecdote moins courante : en fauchant la levée, Denise était tombée nez à nez avec un serpent; le fixant droit dans les yeux et sans perdre son calme, elle m’avait envoyée chercher une pelle avec laquelle elle lui a prestement tranché la tête !
Mais pour évoquer Denise plus poétiquement que je ne saurais le faire, je laisse la place à ma cousine Dany et je recopie, avec son autorisation, le texte lu le jour de son enterrement le 24 juillet 2001 à Bréhémont, village qui fût le sien pendant toute sa vie :

« Chère mémère Denise, grand-mère, mémère, mémé, petite mémé, je ne sais plus trop comment dire, tant tu as eu de petits noms. Il faut dire que tu es grand-mère depuis si longtemps qu’au fil des ans petits, arrières-petits et arrières-arrières-petits enfants se sont multipliés : 27 au total, en commençant par A pour Alain et en finissant par Z pour Zoé, si bien que chaque génération a voulu, dans doute pour avoir sa grand-mère à soi, décliner le mot à sa façon. Pour moi donc, cela restera mémère Denise puisque c’est ce qui fut choisi quand Rolande te fit grand-mère pour la première fois.
Depuis longtemps tu ne pouvais plus dire grand-chose, mais qu’aurais tu eu à dire de plus ? Tu nous avais déjà assez montré.
Tu nous as laissé, mémère, un sacré bel héritage. La vie ne t’a pas fait que des cadeaux, et dans les coups durs tu as fait face, avec la plus grande dignité. Tu avais l’exigence du travail bien fait, pour toi et pour ceux qui devaient t’obéir : pas un grain de poussière dans la maison, pas une herbe folle dans le jardin, petits pois carottes bien alignées, les allées tirées au cordeau et régulièrement ratissées, pas une faute d’orthographe ni de grammaire dans tes écrits, pas une erreur de calcul dans tes comptes, ta tenue toujours impeccable.
Tu avais la passion des fleurs. Un vrai petit jardin à la française en miniature que tes parterres, dessinés sur papier au compas et à la règle avant d’être reportés sur le terrain. Avec toi c’était la nature domestiquée, comme tes émotions d’ailleurs.
Tu mettais au dessus de tout l’intelligence et tu accordais le plus grand prix à l’instruction, sous toutes ses formes. Toi-même tu ne savais pas chanter, ni nager, ni jouer de la musique, mais tu étais fière que tes enfants sachent le faire…
Tu ne chantais pas, mais dans les noces et les banquets tu te levais pour réciter, de mémoire et avec le ton, un compliment ou une petite histoire. Excuses moi si aujourd’hui je le fais moi, avec mon papier. Je ne suis pas à la hauteur. Je ne peux pas en effet avoir hérité de tout cela à moi toute seule, on est si nombreux à se partager ce que tu as semé et, sois en sûr, il en reste quelque chose, qu’on a mélangé avec ce qu’on a pu trouver ailleurs, bien sûr, car tu ne saurais tout de même pas incarner la perfection. Pour tout cela, merci.
Tu ne nous diras plus : « je ne sais plus très bien quel âge j’ai, je sais seulement que c’est un an de moins que l’année ». Ta dernière arrière-arrière-petite fille, petite Jeanne, née elle aussi avec le siècle prendra le relais et dira peut être la même chose dans son grand âge. »


Ou encore cet autre hommage, sous forme d’inventaire à la Prevert, œuvre de ses arrières-petites filles :

Mémé et misère
La boulangère
Le film « les compères »
Le billet de 50 frs pour nos anniversaires

Mémé notre arrière grand-mère
L’allure de notre mère
Et peut être celle de notre grand-mère

Mémé et le crochet
Le calendrier des pompiers
Le magazine Bonnes Soirées

Mémé et Kiki
« le dernier empereur » de Bertolucci
Un soir de Noël
L’eau de toilette Saint Michel

Mémé et les flans Alsa
Le jeu de l’oie
Serge Lama en Napoléon
Bréhémont
Mémé et la petite valise marron

Mémé et l’odeur du pain grillé
Le premier grille-pain
La chambre Tintin

Mémé et la R5 bleue
La chambre bleue
Le nain jaune
Le club du 3 ième âge

Mémé si moderne avec
La couverture chauffante
Et les casse-croutes BN

Mémé et la Loire
Les jeux du soir

Mémé et des chiffres et des lettres
En 4 lettres
Mais 1 siècle
1901-2001

Mémé n’est plus au jardin
Mémé se repose en fin


Mathilde, Blandine et Véronique.